Revue
VINYL n°76 - Juillet - Août 2010
Au revoir, Petit
Bobo…
Les Brigades du Tigre sont en deuil de leur colosse Terrasson, l’acteur
Pierre Maguelon enlevé par une hémorragie cérébrale
le 10 juillet dernier alors qu'il participait comme invité d’honneur
au festival de théâtre de Saint-André, dans les
Pyrénées-Orientales. Il avait 76 ans. Un homme de théâtre,
de cinéma et de télévision a dit la presse…
Mais a-t-on seulement évoqué qu’il avait aussi été
l’un des piliers du cabaret « Le Cheval d’Or »
dès sa création ? On l’a si peu dit, même
de son vivant, qu’il en avait conçu une certaine amertume…
Et pourtant, il était la mémoire des débuts de
ce cabaret aussi célèbre que « L’Ecluse »
ou « La Colombe ».
Monté à Paris de
son sud-est natal, étudiant à l’Ecole des Métiers
d’Art ne connaissant personne, il était allé retrouver
ses amis, Jean-Pierre Suc et son orchestre (L’Original Jazz Gang)
devant lesquels il faisait le danseur lorsqu’ils jouaient encore
à Montpellier. Intégré à la bande, il eut
une activité déterminante dans l’aventure du Cheval
d’Or. Il s’y produisit sous le nom de « Petit Bobo
». Et comme il maniait le crayon et le pinceau avec virtuosité,
il assurait les décors en dessinant (avec René Biosca)
sur les murs et il s’occupait de l’affichage dans la devanture.
Ainsi les artistes lui confiaient-ils leurs photos pour la vitrine du
cabaret. Et, en s’autoproclamant archiviste du groupe, il les
a conservées avec un nombre impressionnant d’autres clichés,
dessins, articles de presse et documents divers.
Lorsqu’en 2002 j’ai
rédigé l’article Qui
se souvient de Jean-Pierre Suc ? (Voir Vinyl N° 57),
j’ai rencontré beaucoup de contemporains de Jean-Pierre
Suc, mais pas Pierre Maguelon, sans doute indisponible… Ce papier
est resté quelques années dans les tiroirs avant d’être
exhumé pour publication dans votre revue préférée
après avoir subi çà et là quelques retouches…
Je ne sais plus qui m’a dit alors : « tu devrais l’envoyer
à Pierre Maguelon… ». Aussitôt dit, aussitôt
fait, l’ami Robin m’en fait une maquette que je lui expédie…
Je reçois alors un coup de téléphone « Venez
me voir, j’ai des choses à vous montrer qui vous intéresseront
sans doute ! ». Evidemment, invitation acceptée, et,
dans son appartement parisien, une après-midi de long, j’ai
le privilège de feuilleter cette manne impressionnante de documents
éclairés par le maître des lieux avec son inimitable
accent. Inoubliable ! Peu de choses nouvelles sur Jean-Pierre Suc, quelques
précisions qui ont donné lieu à quelques corrections
à la marge… Mais dans les commentaires, que de petites
anecdotes sur les premières années du Cheval d’Or,
que je gardais précieusement dans l’espoir d’un jour
pouvoir écrire quelque chose sur ce cabaret… Pour rendre
à Pierre Maguelon un hommage posthume, j’ai pensé
que quelques uns des souvenirs qu’il avait spontanément
partagés pourraient prendre place dans les colonnes de Vinyl.
*
* *
Le
« Club Plein Vent », c’était en face de ce
qui était encore la mercerie de Léon Tcheniak, un cabaret
de guitare classique et flamenco ; le dimanche, le patron recevait des
chanteurs, parmi lesquels un beau jour il y a eu Suc et Serre. Léon
et sa femme étaient là et ils buvaient en voisins…
Et en discutant, ils ont admis que la bonneterie ne marchait plus et
ils ont ainsi eu l’idée de la transformer en cabaret. C’est
comme ça que ça s’est créé. Et Léon
a dit « vous pouvez tout transformer » et on a coupé
des murs, fait de la maçonnerie et installé l’éclairage
au gaz… (On peut baisser le gaz, mais ça ne s’éteint
pas, donc on n’avait jamais le noir profond.) Le nom « Cheval
d’Or », tiré d’une chanson de Jean-Pierre,
a été donné tout de suite, ça ne s’est
jamais appelé autrement. La tête de cheval a été
faite par un gars des beaux-arts, elle était différente
d’esprit par rapport aux têtes des boucheries chevalines
!
Quand
le cabaret fut terminé, il y avait Suc et Serre qui avaient un
récital, mais rien d’autre. Alors on a cherché.
Henri Serre faisait un numéro de vieux paysan. Jean-Pierre a
auditionné. Et il m’a dit « fais tes trucs-là
! » : quand les soirs de jazz on sortait, on traînait jusqu’au
matin au lieu d’aller se coucher et on s’amusait comme les
surréalistes ; l’un d’entre nous commençait
une histoire un peu étrange, et puis à un moment, hop,
il passait la parole à un autre, puis à un autre, et ainsi
de suite, et quand ça arrivait à moi, je ne lâchais
plus le truc ! Il m’a dit : « improvise comme ça
»… Et j’ai improvisé ! C’était
le numéro de Petit Bobo ! Je montais sur scène et je ne
savais absolument pas ce que j’allais raconter, et je brodais.
Parfois, il m’était difficile de conclure, et c’était
long. Si bien que j’ai pris une lanterne dans laquelle j’allumais
une cigarette, et quand elle était finie, c’était
le signe qu’il fallait trouver une fin ! J’ai fait deux
45 tours et des tournées avec Brassens ! Et j’étais
connu pour ça : dans les premiers films que j’ai faits,
Yves Robert me demandait « Tu as un truc, improvise-moi quelque
chose ! »
Avec
un copain, Claude Parachini ( ?), j’ai fait aussi un autre numéro
qui s’appelait «Bock et Bière » où j’étais
avec une contrebasse… Je ne jouais pas, je faisais juste «
boum, boum ». On annonçait qu’on allait jouer, et
puis au dernier moment, il y avait un truc qui faisait qu’on ne
jouait pas… Jamais je n’ai vu une salle prendre un fou rire
comme ça avec ce numéro : on ne pouvait plus continuer,
on était obligés de s’arrêter tellement la
salle pouffait ! C’était à l’époque
où, il fallait trouver des numéros, alors on essayait
tout ! J’ai fait un numéro avec le trombone de Gaston Balenglow.
J’en jouais comme d’un violoncelle, et les gens ne comprenaient
pas qu’on ne pouvait pas jouer comme ça parce qu’ils
entendaient ce que Gaston jouait en coulisses…
On
faisait aussi une petite restauration avant le spectacle. Je recevais
les gens et je les servais à table. Puis, je présentais
le spectacle, je faisais « bock et bière », et le
numéro de Petit Bobo… et je faisais aussi la régie.
Brassens nous avait offert un micro dont le haut était gros à
peine comme ça et qui était directionnel, ce qui fait
que Suc et Serre qui étaient deux n’y arrivaient pas. Alors
on a mis un entonnoir en carton moche comme tout. C’était
atroce ce truc : quand vous vous mettiez en face, le public ne voyait
plus le visage !
Il
y avait Jean-Louis Winkopp qui chantait des chansons qu’il composait
lui-même. Un peu plus tard, avec un autre, il a fait un duo qui
s’appelait Dupont et Pondu.
Il
y avait Pauline Julien qui à l’époque n’était
pas canadienne du tout et parlait comme vous et moi. Un beau jour, je
l’entends qui parle avec l’accent québécois,
et je dis « étrange ça ! ». Trois ans auparavant,
elle était avec nous et n’avait aucun accent. « Je
suis une fille maigre et j’ai de gros os » (Jacques Audiberti)
chantait-elle ! Sacrée Pauline !
Il
y avait Christine Sèvres, remarquable. On l’appelait «
la comtesse », il me semble que c’était par référence
au film La Comtesse aux Pieds Nus avec Ava Garner. Mais elle avait plutôt
le look de Lauren Bacall. Elle était une magnifique chanteuse.
Ferrat venait aussi, mais on trouvait son répertoire trop conventionnel.
J’étais très ami avec lui, on se raccompagnait tous
les soirs mutuellement !
Je
ne veux pas dire des âneries, parce que c’est quand même
vieux tout ça, mais je me demande si, quand Boby Lapointe est
venu la première fois, il ne présentait pas que des textes.
C’est Jean-Pierre Suc qui lui a dit « mets des musiques
dessus, parce que les textes seuls ça ne fera que « marchotter
» ! Il avait du flair !
Le
film « Tire au Flanc » a été mis en scène
par Claude de Givray, supervisé et subventionné par François
Truffaut. Il a dit « puisque c’est l’histoire de gars
à l’armée qui sont plus ou moins copains, ce serait
bien d’avoir une équipe de gens qui ont l’habitude
de délirer ensemble… J’en connais une, celle du Cheval
d’Or ! ». Truffaut était fana du Cheval d’Or
! Alors, il est venu nous chercher !
Après
Suc, ça a été un peu moi qui me suis occupé
du cabaret. Ricet Barrier aussi, mais ça n’a pas duré
car il avait des tas d’engagements à droite à gauche,
alors que moi j’en avais moins.
Après
Le Cheval d’Or, j’ai monté un autre cabaret qui s’appelait
« Le Diable à Quatre » dans lequel Eva fut la vedette
principale.
Propos recueillis le 20 mars
2007
*
* *
L’article sur Jean-Pierre
Suc m’a permis de faire d’autres rencontres, en particulier
sa jeune sœur, soucieuse de la mémoire de son frère.
Avec ses documents et ses encouragements, j’ai construit un petit
site dans lequel sont rassemblées toutes les choses qu’on
a pu réunir sur cet artiste : photos, dessins, textes, toiles
et bien entendu chansons. Il attend la visite de tous les lecteurs intéressés
par l’histoire de la chanson, là : http://jeanpierresuc.free.fr/
Mais la gentillesse, la simplicité
et la jovialité de Pierre Maguelon ainsi que l’attention
de son épouse me resteront définitivement gravées
dans l’esprit. Au revoir, Petit Bobo !
François Bellart