Allocution
de Gilles Tcherniak
devant le 33, rue Descartes, Paris 5°, le soir du 20 septembre 2011
Bonjour,
Bienvenue à toutes et tous, artistes, professionnels du spectacle,
amoureux de la chanson, amis, élus parisiens.
Ce soir, Le Cheval
d'Or se rappelle au bon souvenir des acteurs de cette époque. Il
est heureux de voir dans l'assistance de nombreux jeunes chanteurs et
chanteuses, celles et ceux qui font le spectacle d'aujourd'hui et montrent
par leur présence, leur intérêt pour cette époque,
pour ce lieu dédié à la chanson française
et à l'expression artistique. C'est avec émotion que je
m'adresse à vous et plus particulièrement à tous
ces artistes de diverses disciplines qui ont construit, fait vivre et
par leur talent donné de la notoriété à ce
cabaret.
A l'ouverture du Cheval d'Or, j'avais onze ans, vous étiez sur
la scène face au public devant le micro. Quant à moi, j'étais
derrière la scène et m'endormais au son de vos voix. Vous
avez bercé mon enfance et je me dis que j'ai vraiment eu de la
chance ! 55 ans après, je suis à mon tour devant vous, face
au micro, sauf que je ne chanterai pas et me contenterai de vous dire
quelques mots.
A cette époque, j'étais élève du brillantissime
Lycée Henri IV. En rentrant du lycée, je me retrouvais au
milieu d'artistes parlant création, répétant en prévision
des prochaines représentations, des parents heureux de cette nouvelle
aventure. N'étant déjà pas un passionné de
la vie scolaire, les professeurs et leurs cours me paraissaient bien fades
à côté de ce que je vivais à la maison. Il
ne me restait plus qu'à mettre fin assez rapidement à l'occupation
inutile d'une place dans un lycée confortable et prestigieux et
quittais le monde des études au niveau Bac -4. Chacun son université?
Moi c'était la vôtre celle des artistes, de votre passion
et votre talent.
Ce soir, je veux remercier les membres du comité de parrainage
de cette initiative. Ce comité rassemble celles et ceux qui ont
construit le Cheval d'Or, en ont fait sa renommée. Dans ce comité,
il y a des chanteuses, chanteurs, parolier, écrivains, journalistes,
peintres, photographe, réalisateurs de cinéma, fondateurs
de cabarets, le centre de la chanson et son président. Cette composition
illustre le bouillonnement culturel qui régnait dans ce lieu. Merci
aux copropriétaires de l'immeuble et au président du conseil
syndical. Ont également accepté de faire partie de ce comité
de parrainage, des élus parisiens que je salue : Monsieur Tristan
Bromet directeur de cabinet de Monsieur Christophe Girard maire adjoint
à Paris, chargé de la politique culturelle. Monsieur Jean
Tibéri, député-maire du 5ème arrondissement.
Je veux profiter
de leur présence pour leur dire en toute modestie et sans langue
de bois: Le spectacle vivant, la création artistique ont besoin
de l'action et de la puissance publique. L'existence de salles et de lieux
de spectacle favorisant des expressions diverses, l'expérimentation,
la découverte et l'éclosion des talents est essentielle.
Les cabarets des années 60 et plus précisément le
Cheval d'Or, mais également l'Écluse avec Marc Chevalier
son co-fondateur qui est parmi nous, La Colombe avec son fondateur Michel
Valette également présent, ont constamment œuvré
dans ce sens. La Vieille Grille, situé à deux pas d'ici
continue cette action depuis 50 ans. Son fondateur Maurice Alezra nous
a quittés récemment et je veux saluer la présence
parmi nous de Madame Dominique Alezra. Anne Quesamand et Laurent Berman
qui se sont joints à nous, poursuivent l'aventure de la Vieille
Grille avec détermination.
Aucun enregistrement, téléchargement ou autre technique
numérique ne remplacera le plaisir d'aller au spectacle, partager
l'ambiance d'une salle, écouter, rire, être ému, échanger
ses impressions avec sa voisine ou son voisin.
Il m'est impossible de citer toutes celles et ceux qui sont montés
sur la scène du Cheval d'Or, ont accompagné son activité
en tant que photographes, peintres, musiciens et journalistes, cinéastes.
La liste est immense. Beaucoup sont parmi nous, d'autres m'ont fait savoir
leur regret de ne pouvoir être présents. D'autres nous ont
quittés, leur nom figure dans le comité de parrainage. Permettez-moi
de dire quelques mots les concernant.
Notre cher Ricet, pour la scène Ricet Barrier, quelle classe dans
l'écriture, la musique et l'interprétation. Merci Añe
Barrier d'être parmi nous. Boby Lapointe, mon père disait
qu'il était inclassable, hors norme, un virtuose de l'écriture.
Merci Ticha pour ta présence, nous poursuivons l'amitié
qu'avaient nos deux parents, Boby ton père et Léon, le mien.
Petit Bobo ou Pierre Maguelon. Pour moi c'est Bobo. Avant l'ouverture
du cabaret, Il a participé activement à sa construction.
Chaque soir, il présentait le spectacle et nous enchantait avec
ses histoires merveilleuses. Merci à toi Clôdine et à
tes enfants pour votre présence. Jean Pierre Suc, j'étais
enfant, je l'admirais. C'était un homme fougueux, au regard brulant,
plein de talent, peintre, musicien, auteur et chanteur. Avec Henri Serre
qui est parmi nous, le duo Suc et Serre a imprimé dès le
départ la marque du Cheval d'Or. Jean Pierre a ensuite chanté
seul et je suis certain que ses textes d'une grande modernité intéresseraient
aujourd'hui des interprètes. Merci Mireille d'être parmi
nous, sans ton frère, le Cheval d'Or n'aurait pas été
créé.
La naissance du Cheval d'Or, c'est une aventure
humaine, une construction collective où l'envie de faire, de créer
a remplacé l'argent plus que rare. Tout a commencé par la
rencontre de Jean Pierre Suc avec mes parents Yvonne et Léon Tcherniak,
un couple à la recherche d'une nouvelle vie après le drame
de la guerre et de la déportation. Juste en face, au 42 rue Descartes,
Geneviève et Gilbert Imbar ouvraient au début des années
50, le premier lieu culturel et d'expression artistique du quartier. Le
club Plein Vent, une librairie, une académie de guitare, une petite
cave pour les concerts de musique et quelques chanteurs dont Jean Pierre
Suc. Je veux dire toute mon amitié à Pia qui est là
ce soir. Petite fille de Gilbert et Geneviève Imbar, elle est la
fille de Gérard Imbar, mon pote d'enfance décédé
beaucoup trop tôt. C'est Gilbert Imbar qui présenta Jean
Pierre Suc à mon père.
Jean Pierre avait envie de monter un cabaret, mes parents voulaient laisser
tomber vêtements, schmatess et atelier de fourrure. Très
rapidement le projet commun va naître et se construire. A défaut
d'argent, ce sera l'investissement manuel, la transformation de la bonneterie
en lieu de spectacle. Jean Pierre est entouré d'autres jeunes qui
ont soif de création. Des gars du midi, de Montpellier et de Sète,
pour la plupart issus des beaux arts. Avec Jean Pierre Suc, Léon
et Yvonne, il y a une équipe : René Biosca, Petit Bobo,
Henri Serre, Balenglow, Henri Droux, Charly Suc, Gilles Durieux, Parrachini
et bien d'autres. Des habitants du quartier viennent donner la main. Les
murs du magasin de bonneterie et de notre appartement vont tomber pour
faire place à une salle de spectacle d'une soixantaine de places.
Une petite scène est construite et la cave sert de coulisses. Les
tables et tabourets seront fournis gracieusement par Le Kentucky, un club
de jazz situé derrière le Panthéon et venant de fermer
ses portes. Les travaux avancent, les yeux de Suc pétillent, les
voix de ces jeunes gens du midi résonnent, mes parents sont heureux.
Le cabaret s'appellera Le Cheval d'Or, le titre d'une chanson de Jean
Pierre Suc. Il ouvre le 5 septembre 1955.
Les premières années vont faire que rapidement ce cabaret
va prendre une place importante dans le monde de la chanson. Il va participer
fortement au développement d'un quartier qui était à
cette époque sans aucune activité nocturne. 17 mai 1960,
un jour terrible, inoubliable, le Cheval d'Or perd un de ses fondateurs.
C'est la mort dans des circonstances dramatiques de Jean Pierre Suc. Mon
père sera très marqué par cette disparition. Il envisagera
de fermer le cabaret, mais l'équipe d'artistes et d'amis de l'époque
l'encourage à poursuivre cette belle aventure. Le Cheval d'Or reprendra
son galop et c'est bien ainsi.
De 1955 à 1969, le Cheval d'Or sera un lieu connu, reconnu des
amoureux de la chanson et du spectacle, des professionnels de la chanson.
Aujourd'hui, il fait toujours référence. Le spectacle du
Cheval d'Or s'articulait autour de quelques idées bien précises.
Premièrement, il fallait être ACI, c'est-à-dire auteur,
compositeur, interprète. Ce qui fait que beaucoup d'interprètes
talentueux n'ont pu y chanter. Le souci d'un véritable espace scénique
avec dans les dernières années, une scène avec ses
entrées cour et jardin, des projecteurs et jeu d'orgue, et un rideau
rouge comme au music hall. Dans les artistes, il y avait celles et ceux
qui imprimaient la marque Cheval d'Or : Anne Sylvestre, Suc et Serre,
Ricet Barrier, Raymond Devos, Boby Lapointe, Luce Klein, Pierre Etaix,
Daniel Prévost, Roger Riffard, Jean Obé, Annie Colette,
François Lalande, Daniel Beretta et Richard de Bordeaux, Max Rongier.
Petit Bobo présentait le spectacle et racontait ses histoires merveilleuses.
Un pianiste attitré accueillait les spectateurs en musique, accompagnant
le tour de chant des artistes qui le souhaitaient. Au milieu du spectacle,
il y avait un numéro visuel, marionnettistes, mimes. Les deux premiers
numéros, en lever de rideau étaient de jeunes artistes ayant
été auditionnés auparavant. Les auditions se déroulaient
après le spectacle vers 1h du matin, hors de tout public, devant
Suc, Bobo, mon père et d'autres fidèles du cabaret. Quelques
artistes m'ont dit en toute amitié que c'était terrifiant.
Je les comprends !
Mesdames, messieurs, chers amis, lorsque l'on a connu de tels bonheurs,
l'objectivité peut en prendre un coup. Mais je ne vais pas gâcher
mon enthousiasme et comme je ne suis pas égoïste, j'ai souhaité
par ces quelques mots vous le faire partager ! Sans aucune nostalgie,
encouragé par les membres du comité de parrainage, j'ai
voulu poser cette plaque comme un hommage et un témoignage. Ce
sera un clin d'œil aux passants, un petit salut à celles et
ceux qui ont connu et vécu cette aventure. La chanson continue,
créative, inventive, explorant de nouvelles sources d'inspiration
et de sons. Quel plaisir de voir et d'écouter ces jeunes plein
de talent qui écrivent, composent, interprètent.
Le Cheval d'Or n'est pas une vieille histoire que l'on raconte aux plus
jeunes, ni un objet de souvenir que l'on vénère. C'est tout
simplement, un moment fort, une belle aventure, un jalon dans ce que l'on
appelle la chanson, le spectacle vivant.
Merci pour votre attention.
© Gilles Tcherniak
Voir
la plaque dévoilée ce soir-là
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